Bibliocratie s'arrête définitivement.
C'est avec beaucoup de tristesse que nous sommes forcés de prendre la décision de cesser nos activités. Nous n'avons plus le temps d'espérer séduire banquiers et investisseurs, malgré tout notre travail et notre volonté. Cela n'a pas suffi, pour un millier de raisons qui ne sont plus importantes. Si tous nous disaient que l'idée était géniale, c'était sans doute par politesse, peut-être aussi parce qu'en France, aujourd'hui, les tenants du pouvoir financier n'ont pas honte de demander à voix haute pourquoi il faut investir dans du marketing, pourquoi une start-up n'est pas rentable dès la première année, pourquoi nous développons nos outils nous-mêmes sans sous-traiter au Maroc, pourquoi nous avons besoin de lever de l'argent et d'un rendez-vous dans les six semaines. La France est un vieux pays si fier de sa gloire passée depuis déjà deux siècles, un vieux pays tenu par les ingénieurs et les banquiers, les mêmes formés à l'industrie, aux usines, à la gestion des stocks et de l'épargne. Au fond, des gens très heureux de célébrer artificiellement l'inventivité de la jeunesse française – colloques et zoos où l'on incube la belle image des petits génies dans leur garage. Au fond des pétochards, cherchant partout le nouveau Google, le nouveau Facebook, mais en exigeant que l'on montre que l'on est déjà Google, déjà Facebook – parce qu'au fond, on ignore tout à fait de quoi est constitué le noyau de ces entreprises, quelle est leur idée qui permet de fissurer la vieille économie : seul compte le résultat, les montagnes de cash, parce que vous comprenez, « Google c'est Google, vous c'est vous ». Il existe bien sûr des succès français, majeurs parfois : qui peut sérieusement dire que ce n'est pas à l'étranger que se sont joués ces succès, grâce à la prise de risque d'investisseurs capables d'oser comprendre les idées qui s'offrent à eux, en oubliant un instant leurs réflexes de vendeur de livret A ou d'acier ? La seule vérité est que le dynamisme des start-ups françaises n'est dû qu'à leurs créateurs. Vous avez des idées ? Partez les développer ailleurs, sans espérer ici convaincre ceux qui vous dise qu'« Internet, ça ne gagne pas d'argent ». Sans doute sommes-nous une exception que des chiffres bien orientés contrediront, sans doute sommes-nous mauvais comme notre produit, sans doute n'avons-nous pas parlé aux bonnes personnes (plus de 100 fonds, business-angels et incubateurs, l'ensemble des banques). Sans doute est-ce surtout plus compliqué que ça, quand s'arrête la farce populaire du mérite systématique selon les œuvres. Nous présentons toutes nos excuses aux centaines d'auteurs, aux dizaines de milliers de lecteurs qui ont cru que Bibliocratie allait affranchir définitivement la création littéraire du contrôle financier et donc créatif des éditeurs. Cette idée n'est plus et c'est une défaite de la liberté de publier et d'être maître de ce que l'on souhaite lire. Dorénavant, il faudra redescendre tout à fait dans le catalogue des émotions préparées et des idées triées selon leur probabilité de séduire le plus grand nombre. Le système monopolistique des éditeurs, que rien ne justifie si ce n'est leur maîtrise des capitaux et des circuits de distribution, est désormais à nouveau total. Car au-delà, notre idée était de libérer ces millions d'auteurs sans aucune possibilité d'être lus autrement qu'en étant touché par le doigt divin d'un éditeur, d'accepter une rémunération de misère – pourquoi pas à la page lue –, de se plier à la réécriture marketing de leurs combats. Nous ne voulions plus que l'on puisse de satisfaire des parutions programmées, calculées pour plaire aux instincts du plus grand nombre et exploiter jusqu'à la lie le filon mourant de la lecture, sans jeunes, sans popularité, sans plus de la moitié des Français. Et pourtant, il faudra bien que le livre renaisse, sans nous donc, mais également malgré la rente imbécile des faiseurs de modes littéraires. Le livre exige aujourd’hui une nouvelle bataille : donner à chaque auteur une chance de défendre son travail en place publique. La musique se joue dans les garages, dans la rue, au supermarché. La vidéo se donne par milliards d’unités sur des milliards d’écrans individuels, dans les musées, le métro et chez le coiffeur. Le livre doit s’inventer une place lumineuse, foisonnante, pleine d’erreurs et de gloires décisives, un lieu vivant parce que la liberté d’être lu vit enfin librement. C'est pourquoi, pour finir, nous espérons que d'autres se lanceront dans l'aventure, plus durs, mieux armés par la connaissance de notre échec, plus fort quand le système actuel sera devenu tout à fait insupportable. Pour cela, nous publions aujourd'hui en open source l'intégralité du code informatique de notre nouveau site (qui n'aura hélas jamais vu le jour) : modifiez-le, distribuez-le, vendez-le même si vous le souhaitez – créez un nouvel outil et permettez ainsi que l'écriture soit encore pour chacun la trace et l'exemple de ce que c'est que d'être libre. |
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